Les nouvelles mesures prises par le ministère de l'Éducation nationale pour tenter de pallier la chute du niveau en mathématiques des élèves français (au lieu d'y remédier) ne satisfont pas les enseignants. Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l'APMEP, nous explique pourquoi.
Enseigner les mathématiques et soutenir leur place dans la scolarité de toutes et tous sont des questions complexes au cœur du travail de l’APMEP. Elles méritent mieux que les réponses expéditives et simplistes proposées par le ministère.
« Excellence pour tous, le bien-être à l’école et l’égalité des chances. » Dès le début d’année, au travers de ses trois objectifs, le nouveau ministre abordait ces questions en filigrane. Alors, si les questions sont pertinentes, les réponses apportées par le ministère le sont-elles aussi ?
D’abord, elles sont pour le moins hâtives et creuses.
À la question de la place des mathématiques au lycée général et technologique, la réponse est un horaire insuffisant, avec un programme préparé à la va-vite et qui ne répond à aucun des objectifs qui lui sont assignés. Cet enseignement, pas vraiment de tronc commun, sera insuffisant pour les élèves qui se projettent dans des études qui, sans être scientifiques, nécessitent des mathématiques. Ils peinent déjà à choisir entre leurs envies à court terme et leurs projets d’études. En brouillant encore les informations, les déterminismes sociaux et de genre risquent d’être renforcés.
En sixième et en seconde, une heure est créée… sans organisation réellement pensée. Au lycée, ce sera au détriment d’autres choix, comme des allègements d’effectifs des classes. Au collège, cela se fait en supprimant la technologie, autre discipline scientifique, sans même la garantie que les heures puissent être effectuées en petits effectifs, ni en cohérence avec la progression du professeur de l’élève. Pourquoi ne pas agir au moment de l’introduction, en début de cycle, de concepts difficiles ? Rêvons un peu, à la faveur de la baisse démographique, pourquoi ne pas abaisser les effectifs de toutes les classes ?
En outre, ces réponses ne semblent considérer qu’une partie de la recherche sur l’enseignement des mathématiques.
Les notes de services du 10-01-2023 « Une nouvelle dynamique pour les mathématiques » et « Savoirs fondamentaux » (B.O. n°2 du 12 janvier 2023), qui visent à cadrer le travail des enseignants, se focalisent, pour les mathématiques, sur le calcul mental et le développement des automatismes, et sur la résolution de problèmes.
Le travail sur les automatismes est important. Il conduit à abaisser l’anxiété mathématique et soutient les autres apprentissages. Cependant, notre discipline ne peut être réduite à une vision utilitariste qui appauvrirait notre ambition pour les élèves. Pour la résolution de problèmes, la réponse qui consiste à n’enseigner que des procédures robustes et des outils efficaces est non seulement simpliste, mais peut en plus contribuer à construire chez certains élèves une vision erronée des mathématiques, un sentiment d’incompétence et brider créativité et esprit critique. Quelle est donc la méthode magique pour choisir à coup sûr la modélisation et la représentation qui permettront de traiter mathématiquement un problème ?
Construire des analogies, expliciter les stratégies, donner aux élèves des outils de modélisation, réfléchir aux critères qui vont gouverner nos choix, tout cela demande du temps. De tout cela les élèves sont capables, avec des conditions qui nous permettent de les accompagner. De tout cela, ils auront besoin quels que soient leurs choix d’orientation.
Les mathématiques doivent faire sens. Concevoir des activités d’apprentissage robustes et riches demande de la préparation, de multiples tentatives, du temps d’analyse a posteriori pour les améliorer. Ce n’est pas compatible avec des charges d’enseignement toujours plus lourdes.
Nous aussi, comme le ministre, voulons l’excellence pour tous et toutes, le bien-être et l’égalité des chances. Mais pour que ces belles idées ne restent pas lettres mortes, il faut des moyens pour améliorer les conditions d’accueil des élèves, du temps pour les apprentissages, du temps de concertation et réflexion entre pairs et du temps de formation. Nous sommes engagés dans notre métier, le ministère est-il engagé à nos côtés ?