Comment enseigner l'informatique à des élèves déficients visuels qui ne distinguent pas (ou à peine) l'écran ? Pour résoudre ce casse-tête pédagogique, les algorithmes sont matérialisés par des briques réelles à manipuler. Et cela profite également aux camarades voyants !
Les logiciels d’apprentissage du code par blocs (Blockly, Scratch...) ont une approche essentiellement visuelle et ne permettent aucun accès avec un terminal Braille ou une synthèse vocale. Quant à déplacer des images à la souris, sans la vision, cela devient un vrai tour de force. Le rendu des scripts obtenus est inaccessible si l’on ne voit pas l’écran.
Or Scratch étant utilisé dans de nombreux collèges, y compris dans les classes mixtes, les élèves mal-voyants se trouvent largement désavantagés par ce type de langage.
Une solution, mise en place [par l’auteure, coordinatrice de l’ULIS, unité localisée pour l’inclusion scolaire] au collège Charles-Munch à Grenoble, consiste à développer la coopération entre les élèves déficients visuels et leurs camarades voyants en utilisant des composants de type briques « Lego » qui permettent de construire un script et une plaque de polystyrène qui servira de substitut d’écran. Les algorithmes sont ainsi représentés sous forme tactile !
Un programme à toucher
Chaque concept (déplacement, boucle, variable, condition, bloc/motif, liste, sous-programme ou fonction...) est matérialisé par des pièces de formes – et de couleurs, pour les voyants – différentes. Une forme géométrique saillante est placée sur la tranche droite de la pièce, permettant une lecture séquentielle rapide. Une chose habituellement impossible aux élèves aveugles ! Enfin, à l’ intention des élèves en difficulté en lecture, la quantité d’écrits est réduite à des indications abrégées qui sont données en Braille et en caractères d’imprimerie.
Le script prend corps dans une démarche manipulatoire. Les élèves le construisent physiquement en emboîtant les pièces. Ils peuvent le démonter, en garder des morceaux (et donc décharger leur mémoire de travail), insérer des blocs, les échanger, les comparer... Cette construction par emboîtement est plus facile et plus rapide qu’à la souris et convient aussi aux élèves dyspraxiques.
Les pièces de boucle « tant que » sont constituées de deux briques liées entre elles par un lien élastique. Les instructions à effectuer dans la boucle sont placées physiquement entre la pièce de début et de fin. Le retour peut se faire en remontant le lien élastique sur le côté gauche du script ou sur la tranche droite avec les formes saillantes. La lecture des boucles imbriquées s’ en trouve également facilitée.
Une pièce analogue correspond au « si alors... sinon.. » avec trois briques reliées par deux élastiques.
Le matériel prend en charge la priorité des opérateurs. À des opérations imbriquées correspondent briques emboîtées. Les briques de ce type sont creuses, permettant l’ insertion de nombres ou de noms de variables. Ces dernières sont associées à des briques en forme de « boîtes ».
Un « écran » en relief
Le support en polystyrène sert d’outil pour réfléchir à la conception du script et/ou de substitut d’écran après son exécution. Il est muni d’un repère orthonormé, où les points sont représentés par des épingles de couleurs et de formes différentes, les droites et les courbes par des élastiques tendus entre les épingles. L’élève analyse le problème donné en déplaçant les épingles, déformant les figures avec les élastiques...
L’activité se pratique à deux : l’élève voyant saisit le script construit par son binôme déficient visuel et l’exécute. Il reporte sur le substitut d’ écran le résultat obtenu (ou la solution proposée par un autre camarade de la classe). Ainsi l’ élève peut avoir sous les yeux ou sous les doigts à la fois le résultat attendu, le résultat obtenu, le résultat des autres groupes. Imaginé au départ pour rendre accessible un logiciel à une catégorie précise d’élèves, à savoir un vaste panel de publics présentant des pathologies visuelles, ce dispositif est rapidement apparu comme un véritable outil pédagogique permettant d’aborder efficacement avec tous les élèves, y compris les voyants, de nouveaux concepts d’algorithmique.
Une mallette en préparation
Pour réaliser ce dispositif, tous les programmes de collège en informatique ont été compilés. L’ensemble des instructions nécessaires a été imaginé en version à manipuler. Tous ces éléments ont été regroupés dans une mallette, actuellement en cours de développement : Mall&t’ Algo en Main – Manipulate Learn Look&Touch.
Pour en savoir plus et retrouver toutes les activités pédagogiques élaborées à l’aide de la mallette, rendez-vous sur https://manipulatelearnlooktouch.wordpress.com/